La fresque du collège de Sèvres

Les droits de l'homme encadrés par la religion

Au départ une idée intéressante...

La fresque du collège de Sèvres, avec la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et les illustrations décidées par Grégoire de la Roncière, Maire de Sèvres. Sans Joséphine Baker.

Fresque du collège de Sèvres : fin 2019, Grégoire de la Roncière, Maire de la ville et Conseiller Départemental des Hauts de Seine annonçait un projet de fresque représentant la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 sur une des façades du collège de Sèvres. Elle serait bien visible de la place Charles de Gaulle.

 

Cette fresque devait être illustrée par des personnalités associées à des actions en faveur des droits de l’homme. Seb James, artiste bien connu à Sèvres pour avoir réalisé sur les murs de la ville plusieurs fresques très appréciées des sévriens, a été mandaté pour exécuter l’œuvre.

 

Si exposer la déclaration des droits de l’homme sur la façade du collège de Sèvres apparaissait être une bonne initiative, le choix des personnages par le Maire pour illustrer l'oeuvre a pris un chemin très contestable. Et contesté.

... puis une illustration incompatible avec la laïcité et la loi de 1905

Fresque du collège de Sèvres sans Mère Teresa ni Josephine Baker.
Dessin initial de la fresque

Tout d’abord, aucune concertation sur le choix des figures pour illustrer la fresque du collège de Sèvres n’a eu lieu. Tout au plus le Maire avait entendu les collégiens. Ils et elles lui avaient fait remarquer que la liste initiale de personnalités retenues manquait de femmes. Yvonne Hagnauer se retrouvait seule femme parmi  Henri Grouès (Abbé Pierre), Jean Moulin, Mahatma Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela.

 

Conscient d’avoir commis une erreur, le Maire de Sèvres, Grégoire de la Roncière, a précipitamment, mais non moins délibérément remplacé Jean Moulin et l’Abbé Pierre par Mère Térésa et Olympe de Gouges. La parité est atteinte, mais au final, le choix de certaines personnalités, comme le Mahatma Gandhi, Martin Luther King et surtout Mère Teresa font rentrer dans le collège de Sèvres des figures chargées de sens religieux.

Et la concertation sur cette évolution est restée... très confidentielle.  

Olympe de Gouges, Nelson Mandela et Yvonne Hagnauer ont toute leur place sur la fresque du collège de Sèvres. Cependant afficher sur un mur d'établissement scolaire public de façon très ostensible des personnalités véhiculant une forte dimension religieuse comme le Mahatma Gandhi, Mère Teresa et Martin Luther King n’est compatible ni avec les valeurs de laïcité de la république ni avec ses lois. Ces trois personnes ont certes accompli des actions pour la liberté ou la cause sociale. Cependant les valeurs de laïcité sur lesquelles est fondée la République française exigent d'exclure tout signe ostentatoire de religion sur des bâtiments publics.

 

Le Maire de Sèvres, Grégoire de la Roncière, est passé outre ces règles. Au surplus, les valeurs de Mère Téresa ne sont pas en ligne avec celles de la République française. Ses positions contre les droits des femmes, comme la contraception ou l’avortement vont à l’encontre des principes que nous prônons.  Sa représentation sur la fresque du collège de Sèvres, la tête est couverte d’un voile va à l’encontre des exigences vis à vis des élèves dans les établissements scolaires publics. Elle viole aussi des lois de la République. 

 

Sainte béatifiée en 2003 et canonisée en 2016, Mère Teresa est devenue un emblème de l’église catholique. La mettre en avant par une représentation sur 8 m2 sur la fresque du collège de Sèvres, couverte d’un voile, sur le fronton d’un édifice d’éducation publique constitue une violation flagrante des exigences de laïcité. Au-delà de la négligence, il y a une possible provocation du Maire de Sèvres vis-à-vis des valeurs de la République.

 

Représenter le Mahatma Gandhi sur un édifice public est, pour les mêmes raisons, contestable. Son titre de Mahatma en fait un emblème de la religion Hindoue. En ce qui concerne Gandhi il faut considérer un autre aspect de son action, indissociable de la lutte contre le colonialisme. Cette lutte est certes associée au droit des hommes et femmes de la nation Indienne, mais aussi à l’histoire de l’Empire Britannique. Associer la lutte contre le colonialisme aux droits de l’Homme est tout à fait approprié. Mais nous sommes en France, et nous devons regarder notre propre histoire avant de montrer du doigt celle des autres. Si nous devons honorer la lutte contre le colonialisme, c’est celui de la France dont il faut parler, en mettant en avant une figure qui s’est dressée contre le colonialisme français.  En France, mettre en avant Gandhi sur la fresque du collège de Sèvres pour faire l’éloge de la décolonisation relève de l’hypocrisie, voire de lâcheté.

 

La France se grandit toujours lorsqu’elle regarde son propre passé avec lucidité.

 

Il est bien entendu que Mère Teresa et le Mahatma Gandhi sont deux personnages hors du commun. Ils ont voué leur existence à défendre des causes auxquelles ils croyaient. L’une pour soulager la misère et l’injustice, l’autre pour rendre la liberté au peuple Indien avec une méthode de non- violence qui étonna le monde.  Les actes étaient respectables, mais les emblèmes qui sont associés aux personnages aujourd’hui ne peuvent être mis en avant par la République laïque. Cette dernière doit aussi guider les jeunes des collèges et les citoyens dans leur ensemble dans la compréhension de leur propre histoire.  

La violation de la loi de 1905 sur la séparation de l'église et de l'État

La loi du 9 décembre 1905 portant sur la séparation des églises et de l’État est pourtant sans ambiguïté dans son article 28. « Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. ».

 

A une époque où l’instrumentalisation de certaines religions pour commettre des acteurs odieux contre des personnes,  en France et dans le monde entier, les principes de laïcité doivent être cultivés avec le plus grand soin. Cette préoccupation ne semble pas habiter le Maire de Sèvres Grégoire de la Roncière. Cette décision de porter des signes religieux sur le fronton du collège de Sèvres, établissement public, est condamnable au sens juridique du terme…

Les réactions sur l'illustration de la fresque du collège de Sèvres

La conception de la fresque du collège de Sèvres n’a pas fait l’objet de concertation avant sa mise en peinture. Elle est pourtant chargée de sens et elle occupera un espace visuel très significatif en centre-ville.

 

Lorsque les partis politiques et les associations ont découvert les personnalités finalement choisies par Grégoire de la Roncière, Maire de Sèvres, la réalisation de la fresque du collège était déjà bien avancée.

 

Les réactions ont été vives sur ce qui était considéré comme une atteinte à la laïcité et un abus de pouvoir du Maire. L’information et la concertation préalables avaient fait défaut. Interpelé en Conseil municipal le 11 février 2021 par l’opposition qui s’étonnait que l’on puisse mettre sur le fronton d’un établissement scolaire public un portrait de sainte canonisée, Grégoire de la Roncière s’est enfermé dans une posture de Maire autoritaire qui décide seul, et dont la pertinence des décisions ne peut être remise en cause.

 

L’opposition a de nouveau manifesté son étonnement dans la tribune dont elle dispose dans le bulletin municipal du mois de mars 2021. La tonalité très défensive des élus de la majorité qui y répondent indique à quel point cette question met mal à l’aise l’entourage du Maire. Par ailleurs, l’interprétation par la majorité des principes de laïcité montre qu’elle a perdu ses repères avec les valeurs de base qui fondent la République.

 

La base de la laïcité, c’est la stricte séparation des croyances religieuses entre les affaires privées et publiques. C’est cette laïcité qui protège les croyances et les non-croyances.

En affirmant que l’article 10 de la déclaration des droits de l’homme offre une liberté totale et permet d’introduire une manifestation d’ordre religieux dans les espaces d’éducation publics, Grégoire de la Roncière et ses adjoints affichent délibérément leur volonté de casser la laïcité française. Ou font preuve d’une désinvolture stupéfiante.

 

Sur la fresque du collège de Sèvres, Grégoire de la Roncière a donc choisi d'encadrer la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 par des symboles religieux. 

Remplacer Mère Teresa par Josephine Baker

Chercher une figure associée à la lutte contre le colonialisme en France nous conduit tout naturellement vers Aimé Césaire. La vie de cet homme de littérature, ce poète, homme politique aussi, a traversé une bonne partie du 20ème siècle. Il s’est intensément élevé contre l’action coloniale. Il s’est aussi battu pour que la Martinique obtienne le statut de Département.

 

Pour La figure féminine qui pourrait remplacer Mère Teresa, on pourrait penser à Eugénie Cotton, pour honorer ses combats contre le fascisme et pour la cause féministe. Elle a aussi été élève et enseignante à l’Ecole Normale Supérieure des Filles lorsqu’elle était à Sèvres.

 

Mais dans le panorama des prétendantes au remplacement de Mère Teresa sur la fresque du collège de Sèvres,  je propose Joséphine Baker, en mémoire de sa participation à la résistance pendant la seconde guerre mondiale et de sa lutte contre le racisme. Avec sa figure gaie et souriante, son métier d’artiste du spectacle, elle montre que la lutte pour les droits de l’homme peut aussi se conjuguer avec joie de vivre.


Cet article sur la fresque du collège de Sèvres a été rédigé par Frédéric Durdux